Remise de la Légion d’Honneur à Mme Aicha Ech-Channa, présidente de l’association « Solidarité féminine » (10 février)

Discours de M. Charles Fries, ambassadeur de France au Maroc

Remise des insignes de chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur
à Mme Aicha Ech-Channa

Résidence de France, 10 février 2013

Chère Aïcha,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Ma femme et moi sommes très heureux de vous accueillir ce soir à la Résidence de France pour cette cérémonie de remise des insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur à Madame Aïcha Ech Channa.

Pour la circonstance, vous avez souhaité, ma chère Aïcha, réunir vos proches, vos amis, tous ceux qui ont compté dans votre parcours et dans votre vie. Ils sont là ce soir pour vous témoigner leur affection et leur admiration pour vos combats, pour les valeurs humanistes qui vous animent au service des plus déshérités. Je partage avec eux cette affection, cette admiration et j’ajoute la chance, pour ma femme et moi, de vous avoir rencontrée à notre arrivée au Maroc.

Chère Aïcha,

Vos liens avec la France sont anciens et solides puisque vous avez fait vos premiers pas à l’école française Foch, avant de continuer vos études au lycée Joffre à Casablanca. Vous êtes diplômée d’Etat de l’Ecole d’infirmière. Vos orientations académiques révèlent déjà une volonté de s’occuper des autres !

Vous avez été par la suite animatrice à la radio marocaine pour le Ministère de la Santé. Vous n’allez pas vous arrêter là dans votre expérience de communicante puisque vous animerez la première émission télévisée d’éducation sanitaire au Maroc.

A ces occasions, vous vous êtes emparée de sujets tabous dans la société et n’avez pas hésité à soulever les problèmes difficiles auxquels sont confrontées les femmes marocaines.

Parallèlement, avec la même ténacité, vous menez de nombreuses activités associatives en dédiant votre énergie au combat féministe. C’est en 1981 que vous avez eu ce que vous appelez « votre déclic » lequel vous amènera quatre ans plus tard à créer votre propre association que vous baptiserez « Solidarité féminine ».

Votre déclic, c’est d’avoir été le témoin direct d’une prise de décision terrible : celle d’une mère célibataire qui a abandonné son nourrisson parce qu’elle voulait ainsi échapper à la réprobation sociale, à la marginalisation, à la vulnérabilité.

Votre décision de créer « Solidarité féminine » est le fruit de ce sentiment d’horreur devant ce dilemme auquel les femmes célibataires sont confrontées, de votre incapacité à tolérer le sort profondément injuste que leur réserve la société et de votre volonté à agir résolument, de toutes vos forces, contre ce phénomène.

Le désespoir, la détresse et le dénuement absolu de ces femmes, mais aussi la souffrance de leurs enfants, vous les racontez dans votre ouvrage « Miseria ». Ce livre tout comme le recueil de témoignages de ces victimes que vous venez de publier, « A hautes voix », sont bouleversants.

Votre combat, c’est que ces victimes ne soient plus abandonnées à leur sort. C’est aussi que les femmes ne soient plus victimes de telles situations dramatiques pour elles comme pour leur enfant.

Ce que vous avez souhaité faire avec « Solidarité féminine », c’est apporter soutien et chaleur humaine à ces mères célibataires et à leurs enfants en les aidant à trouver leur voie vers la dignité et l’indépendance.

L’objectif de votre association est simple : confier un travail aux mères tout en assurant la garde de leurs enfants.

Au fil des ans, l’association a ouvert un restaurant, créé un centre de formation et fait construire un hammam dont les recettes vont entièrement aux femmes célibataires. Je peux témoigner du professionnalisme du personnel qui travaille dans votre association. Et puisqu’un peu de publicité ne fait jamais de mal, j’invite tous ceux qui ne connaissent pas votre restaurant associatif à s’y rendre… ils ne seront pas déçus, ni par l’ambiance, ni par la cuisine (ma femme et moi y avons dégusté un délicieux couscous) !

« Solidarité féminine » assure aussi l’accompagnement psychologique de ces mères, leur facilite leurs démarches administratives et leur accès à un logement.

Tout le travail que vous avez accompli avec les membres de « Solidarité féminine » est aujourd’hui largement reconnu.

Pas seulement au Maroc, où vous recevez le soutien total de Sa Majesté le Roi, en plus de la médaille d’honneur de la Fondation Mohammed V pour la solidarité.

Mais aussi à travers le monde puisque l’association a reçu de nombreux prix internationaux, dont le prix des droits de l’homme de la République française en 1995. Lors de sa visite officielle au Maroc en avril dernier, le Président de la République avait souhaité rencontrer des acteurs de la société civile marocaine : vous étiez là, ma chère Aïcha, et votre plaidoyer en faveur de ces femmes marocaines nous avait tous beaucoup touchés.

Ces légitimes récompenses sont autant de preuve d’une reconnaissance qui vous permet de devenir le porte-parole de ceux que vous appelez les « sans voix » : les petites bonnes, les enfants des rues, les enfants maltraités, les mères seules avec leurs enfants à charge. C’est pour qu’il y ait moins d’enfants malheureux que vous vous battez, en redonnant dignité et autonomie à ces mères célibataires.

Vous dites souvent « il faut changer les mentalités » puisque vous voulez en finir avec le déni social. Et c’est la raison pour laquelle « Solidarité féminine » procède aussi à des enquêtes sociologiques, organise des séminaires et conduit des campagnes de sensibilisation et d’information sur la santé sexuelle et reproductive, afin d’éviter à de nombreux jeunes femmes et jeunes hommes de se retrouver dans une situation dramatique.

Il n’y a pas que les mentalités que vous voulez changer.

Vous avez régulièrement lancé un appel à ceux qui font le droit et à ceux qui l’appliquent ; vous souhaitez qu’ils reconnaissent le caractère profondément injuste de la situation des mères célibataires et de leurs enfants et qu’ils se décident, à leur tour, à agir. C’est votre combat, un combat difficile mais que vous menez avec passion.

Chère Aïcha,

Vous êtes une femme de cœur, une forte personnalité, courageuse, tenace et audacieuse. Votre langage direct et votre franc-parler sont des armes redoutables pour dénoncer l’inacceptable et convaincre que des solutions existent, pour redonner à ces femmes et à ces enfants leur dignité. Car c’est bien sur le terrain de la dignité et non sur celui de la pitié que vous placez ce combat.

Votre engagement constant, déterminé, connu et reconnu, votre volonté inlassable et votre parcours imposent le respect. Si bien que vous êtes aujourd’hui un exemple pour de nombreuses femmes marocaines : quelle chance pour le Maroc et plus largement encore, de pouvoir compter sur des femmes comme vous ! Car la force et l’humanité de nos sociétés se mesurent aussi à l’aune de la place qu’elles réservent aux plus fragiles.

C’est donc au regard de vos qualités et de vos actions exceptionnelles, en raison également de votre contribution à l’enrichissement de la relation bilatérale franco-marocaine dans le champ social, que j’ai le grand plaisir de vous rendre hommage ce soir.

Et à travers vous, je veux aussi mettre à l’honneur toutes les femmes et tous les hommes qui contribuent à l’action de « Solidarité féminine » et, plus généralement, tous ceux qui se battent pour promouvoir les droits de la femme au Maroc et dans le monde.

Madame Aïcha Ech-Channa, au nom du Président de la République française, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’Honneur.

Dernière modification : 11/02/2014

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